Analyses & Opinions
Yves Lafortune interpelle les ELITES haïtiennes
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- Catégorie : Opinions
- Publié le dimanche 17 janvier 2016 00:15
Il n’y a pas longtemps, je me suis rendu à une église protestante au bicentenaire pour assister aux funérailles du père d’un ami. Bicentenaire, il y a quelques décennies, qui était un boulevard huppé, propre et éclairé. Bicentenaire, il y a quelques décennies, qui attirait tout Port-au-Prince pour des promenades, des sorties d’amoureux ou familiales. Rien de tout ce mythe ne tient plus debout à l’heure qu’il est. Bicentenaire est maintenant un lieu infect et lourd de crasses. Le pourri et le nauséabond s’entassent dans tous les coins. La boue, la poussière, des piles de détritus et de saloperies diverses et variées dansent macabrement une valse chaotique. Il n’y a rien de digne au Bicentenaire. La vie est loin, tellement loin. Des chiens au bord de la maigreur la plus terrifiante et des porcs épiques marchent à côté des hommes. Le soleil est accablant et assassin. Les pots d’échappement des automobiles décuplent les molécules de déchet dans l’air ambiant. Tout est en place pour faire périr les âmes qui vivent. Portail Léogane, Bicentenaire, cité l’Eternel, dans ce qu’on voit de ces lieux, le constat est renversant et traduit un haut niveau de dégradation des conditions de vie des riverains. La population vit dans des conditions infrahumaines, ces quartiers sont de véritables niches criminogènes. Un grand malaise tache les visages. Une rage accomplie mine les regards. La démarche générale des habitants des lieux est celle de l’échec et de la frustration. Devant ce tableau apocalyptique, la question du comment sortir de ce bourbier se pose dans toute sa crudité et pour y répondre franchement, il y a lieu d’interpeller les élites.
La crasse dispose d’un pouvoir terrifiant. Elle peut entacher les consciences, dégarnir le potentiel de la colère populaire et spolier les bonnes mœurs. La crasse peut saouler la dignité et modeler la vie des gens en une simple stratégie de survie. La crasse peut tout. Elle déshumanise et en vient à bout de tout. La crasse est partout en Haïti. Elle est tellement présente qu’on est devenu aveugle d’elle. Elle est devenue un cliché de vie, un fait divers. Elle est là , tout autour de tout et tout le monde s’en moque, en rit. La crasse est dans les yeux, dans les pores de tout le monde. Les élites haïtiennes en ont pris partout. Faut croire au stade où on en est qu’il y a des forces obscures d’ici et d’ailleurs qui fabriquent la crasse haïtienne parce que ça alimente une certaine économie ; l’économie sale, l’économie qui dégrade l’être haïtien.
Et pourtant, quelque part dans tout ça, il y a les élites. Et pourtant quelque part, il y a un Etat. Pourquoi donc rien n’est fait pour endiguer l’essor de la crasse et faire reculer la prégnance de l’infect sur le réel haïtien ? Quelles sont les élites qui vivent ici ? Qui sont nos gouvernants ? Décidément c’est donc pour Haïti que Saint Just parlait quand il disait que « l’art de gouverner n’a produit que des monstres ». Ce pays est arrivé à un niveau de précarité telle que toutes ses couches d’habitants sont pelletés à un point tel par les rigueurs du quotidien qu’aucun recul n’est possible et qu’aucune gamme d’analyse critique n’arrive à se déployer dans les mœurs et reflexes. La notion d’élite en Haïti est réductible à des castes de citoyens empêtrés dans des aspirations de mobilité sociale et de maintien de privilèges statutaires. Ici, ils sont peu nombreux les gens qui se positionnent en éclaireurs, ils sont peu nombreux les gens qui trouvent qu’il est anormal que l’autre vive sur des ordures et dans la privation. Il faut interpeller ce qu’il reste d’élites.
- Il faut interpeller les Elites Intellectuelles !
Rien n’est mis en place pour que le savoir soit accessible aux plus démunis. Les écoles communautaires, les écoles nationales et les lycées sont des espaces de grand banditisme et de déperdition scolaire. Le savoir est distillé au compte-goutte. Les professeurs n’ont pas toujours le bagage académique et la passion qu’il faut. Les salles de classe sont surchargées. Au sein de nos universités ce qui se joue a plus à voir à des témérités de reproduction personnelle et de mobilité sociale qu’à une véritable démarche de production de formes d’intelligibilité et d’assises théoriques à partir desquelles il serait possible de penser un avenir meilleur pour Haïti. Au fait l’avenir d’Haïti ne se discute pas, ne se décide pas au sein de l’université ; ça se passe dans l’embrouillamini de quelques émissions de radios et dans la pression des manifestations de rues. Le renouvellement de nos élites intellectuelles s’avère presqu’inenvisageable parce que les élites actuelles se confinent dans leurs petits conforts et leurs élucubrations. Si rien n’est fait, il arrivera un temps ici ou tout ce qui sera de l’ordre de la pensée complexe sera vomi par la population. Tout ici procèdera par la médiocrité.
- Il faut interpeller les Elites Economiques
La notion même de classe moyenne est en train de s’effondrer ici en Haïti. Les couches les plus défavorisées croupissent dans l’abjection et dans l’indignité. En 20 ans, ce pays n’a fait que reculer. La grande population mange de la vache enragée. La prolétarisation est aux portes de la classe moyenne. Rien ne tient sur du solide. La « classe moyenne » n’a pas accès au crédit. Ils sont rares les haïtiens qui peuvent respirer l’air du minimum. Les élites économiques se confinent dans leurs châteaux forts dans leurs anciens beaux quartiers et leurs blindés. Cette élite climatisée alimente les frustrations du grand nombre et met la société au bord de l’explosion. En tonne, en tonne, comme l’aurait dit Michaux, les couches les plus défavorisées de la population haïtienne arracheront en tonne aux élites ce qu’elles leur ont refusé en gramme.
- Il faut interpeller les Elites autour de l’environnement
L’environnement physique d’Haïti est dans un niveau de dégradation extrême. Il suffit d’un vague regard vers le morne l’hôpital pour se dire qu’on n’a pas su, sur ces 20 dernières années, développer une soucoupe d’intelligence écologique. Les flancs de nos mornes sont lâchés à la décrépitude. Une érosion sans pareil mine le pays.
- Il faut interpeller les Elites autour de l’urgente nécessité d’agir et c’est maintenant qu’il faut commencer !
Nous prenons l’habitude de dire que nos élites sont mortes, il y a longtemps maintenant. Il y a longtemps maintenant que la plupart de ceux qui constituent nos élites se transforment en affairistes en pole position, des magnats de tout poil, des zélotes chrétiens. Comment à l’heure qu’il est alimenter une grogne sociale et solidaire quand les meneurs potentiels sont les bourreaux ?
Aujourd’hui encore, au lever de 2016, j’appelle à la colère et à l’intelligence. Il est urgent de remembrer les élites d’ici. Il est urgent de mettre le doigt sur la plaie haïtienne et de la presser fortement en vue de faire évacuer les vermines. Il nous faut réapprendre les vertus de la dignité. Il nous faut des nouvelles élites. Il faut que le vent tourne. Sinon, nous mourrons tous, nous mourrons tous et sans salut.
Yves Lafortune
https://www.facebook.com/lafortune.yves.9
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