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De la première république noire au pays des misères: processus des cabales politiques

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Vivre en tant qu’haïtien en terres étrangères a bien ses conséquences frustrantes, car on n’entend jamais parler positivement de son pays, identifié toujours comme le pays du choléra, des crises, des problèmes, des catastrophes et des misères. C´est le cas d´Andrea Binder qui décrit Haïti comme «un pays chroniquement pauvres, avec une longue histoire mouvementée des catastrophes naturelles successives, l'agitation sociale, la mauvaise gouvernance et les réglementations commerciales déloyales»[1]. Lorsque je me présente comme haïtien, que ce soit en Amérique Latine ou en Europe où j´ai vécu, les questions des étrangers font toujours référence à la pauvreté en Haïti, comme s´il n´y avait que cela. Pourtant lorsqu’ils parlent des autres pays de la Caraïbe, le discours se porte autour du tourisme, de la culture etc. Ceux qui connaissent la situation politique haïtienne me posent cette question glaciale: que font les politiciens de ton pays? Mais j’ai souvent répondu tout simplement: ils l’ont ruiné.  

 Ces questions gênantes et embarrassantes m´ont invité à relire l’histoire politique haïtienne et j’ai pu constater que la pratique politique en Haïti est l´une des causes fondamentales de notre situation honteuse et désastreuse. Ainsi je me suis rendu compte qu´il est temps de lire et de comprendre, avec plus de réalisme, le problème politique haïtien qui a infirmé le pays.

 Depuis l´après indépendance, la pratique politique dévastatrice ne cesse de plonger le pays dans l´abime et dans la honte. Haïti est constamment victime des comportements irresponsables de ses propres fils et filles qui l´ont violée et  sacrifiée au profit de leur égoïsme. À l´instar de la domination et l´occupation qui seraient encore de mise, nous sommes constamment au temps de la barbarie politique. Nous vivons des scandales politiques au quotidien, causant l´instabilité constante qui nous empêche d´avancer et paralyse le développement du pays. Cette instabilité chronique a provoqué et généré beaucoup d`autres problèmes et crises auxquels est confronté le pays tout au long de son histoire. Voilà pourquoi je considère la politique haïtienne comme l´une des causes génératrices des maux de la société. Voilà un venin, un virus qui doit être combattu et soigné d´une manière radicale. 

 Je me permets de recourir à une analogie afin d´exprimer explicitement la façon dont je comprends ce problème politique haïtien : ce dernier a des caractéristiques d’une pathologie chronique et a causé autant de dégâts et même davantage qu’une maladie chronique. Selon l’OMS une maladie ou pathologie chronique est un problème de santé qui nécessite une prise en charge sur une période de plusieurs années ou plusieurs décennies. Ce que nécessite le cas d’Haïti du point de vue politique, afin que le pays puisse respirer et se développer réellement. En outre, les maladies chroniques sont définies par une ancienneté de plusieurs mois ou années, ce qui est encore l’une des caractéristiques fondamentales du problème politique haïtien. Une maladie Chronique tue des individus et la politique haïtienne, non seulement tue, ruine la société en détruisant les institutions étatiques de la nation. En ce sens, j´identifie la politique haïtienne comme l’épidémie la plus dangereuse et sauvage qui affecte continuellement la santé sociale et économique du pays, en provoquant des nombreux maux dont souffre la société haïtienne.  

Cessons de nuire au pays et de nous suicider, faisons donc la Politique !

La pratique politique destructrice haïtienne a nui considérablement à l´établissement d´un État de droit et prospère dans la société. Ce problème politique historique exige un long travail de conscience et d’engagement, car il ne peut pas être résolu de manière immédiate et ponctuelle. Voilà pourquoi je parle du problème politique chronique dont les caractéristiques ci-dessus contribuent plutôt à détruire qu´à construire.

La pratique et le programme politiques haïtiens sont quasi réduits aux simples campagnes médiatiques de destruction systématique contre le pouvoir en place. Il a été ainsi et continue à l`être. Cette stratégie propagandiste qui cherche à culpabiliser uniquement chaque gouvernement et lui attribuer la responsabilité de toutes les situations affligeantes et tous les maux chroniques dont souffre la société, en cherchant un bouc émissaire, n´est pas honnête. Ceci est purement et simplement la propagande politique et non la recherche de la vérité qui révèle de la responsabilité politique même. Le changement de notre situation exige de vrais débats et autres formes d´engagements politiques, au lieu des clichés médiatiques simplistes qui nourrissent souvent les troubles et l´ignorance de la population. Le travail de bâtir un État de droit et une démocratie ferme, éclairée et tolérante dans notre société ne se révèle pas seulement de la responsabilité du pouvoir en place. Il est une construction politique et institutionnelle qui exige la participation et l`engagement conjoint des partis politiques en posant des actions politiques responsables, constructives et prudentes. Voilà ce qui nous manque et explique aussi l´échec de chaque gouvernement dans le système, dépourvu de toute structure politique établie pouvant susciter des vrais changements et donner des directives au pays.

 Ce problème de structure politique est la cause de la déficience de l'intelligentsia politique haïtienne qui à son tour porte atteinte à la bonne marche et à la stabilité du pays. De cette pauvreté politique dérivent trois classes de politiciens de clans qui s´activent uniquement aux périodes des élections et au moment de se regrouper contre le pouvoir en place.

 Premièrement, on trouve les politiciens traditionnels qui n´ont aucun bilan positif sur le terrain. Ils critiquent sévèrement les autres là où ils ont échoué, niant leurs échecs et voulant à tout prix être présents constamment sur la scène, car ils sont frustrés. Ils sont très reconnus, mais seulement et uniquement pour leur bavardage et leur capacité de manipuler la masse quand il s´agit de gagner les rues comme signe de solidarité et d´affection avec celle-ci. Un signe d´affection perfide qui engloutit davantage la société dans la misère. Ensuite,  il y des nouveaux qui accusent les anciens et se présentent comme des messies et sauveurs. Ils sont naïfs et pensent que seule la bonne volonté suffit à mettre en marche un pays malade comme Haïti. Ils ignorent les causes de nos misères et l´ampleur du problème politique coriace et chronique qui a rongé la société, associant souvent les échecs des prédécesseurs uniquement au manque de volonté. Mais lorsqu´ils ont les choses en main, ils n´arrivent pas à faire mieux, en dépit de leur bonne volonté qui ne suffit pas toujours. Finalement, nous avons les sans-voix et sans-volontés qui font partie de chaque gouvernement, car ils ne parlent et ne critiquent pas. Tantôt ils sont à gauche, à droite, au centre ou nulle part. Ils sont des serviteurs et se mettent exclusivement au service du maître ou de celui qui les nomme. La société les qualifie de « sans-caractère Â» ou « sans-personnalité Â».

 Toutefois, ces trois groupes de politiciens se ressemblent, car ils sont tous médiocres politiquent. Ils n`arrivent jamais à se mettre ensemble pour trouver des compromis et donner une chance au pays. Le besoin de se solidariser a du sens à leurs yeux seulement lorsqu´ils sont mécontents du pouvoir en place et perçoivent qu’ils sont en train de perdre le contrôle politique et social sur le pays. Ils se regroupent et s´organisent alors facilement en opposants, bien que nuisibles et suicidaires, et se soulèvent contre le pouvoir en place, au détriment de la société. Ce type d´alliance ou d´association lucrative rend impossible tout compromis et n'envisage aucune solution haïtienne, car les fins sont à des titres personnels et clandestins.

 Cette vieille stratégie funeste, "tous ensemble contre le président ou le gouvernement", devient à la fois une règle, un outil et une habitude politique haïtienne donnant lieu à des mouvements cycliques qui provoquent des massacres, des assassinats, des exils et l´intervention des forces étrangères qui sont des obstacles à l´apprentissage politique, parce qu´ils nous rendent faibles en déstabilisant toute tentative de solidifier notre système. En plus, la communauté internationale, au sein du système politique national, devient un facteur déséquilibrant et ennuyeux. Elle substitue aux acteurs locaux et réduire ou même anéantir la capacité de ces derniers à intervenir dans les affaires qui les concernent. Cette implication extérieure tend plutôt à transformer et faire d´Haïti un champ d´essaie et un cobaye du système de la mondialisation pour son laboratoire de la charité et de la misère.

 Ensuite notre dénuement et pauvreté politiques créent des vides et favorisent un système qui rend éligible n´importe qui entend en faire partie, quel que soit sa capacité réelle en politique. Dès que le gouvernement en place est défaillant, l´arrivée des nouvelles têtes, venant de partout et nulle part, forme le dispositif de réponse efficace en théorie, bien qu´inopérant en pratique. Leurs discours sont creux et ne se rattachent à aucun programme ni politique de gouvernement. Dépourvus de feuilles de routes, ils passent la majorité de leur temps dans les tapages médiatiques à divaguer et éreinter leurs opposants. Ainsi de suite, chaque nouveau gouvernement s’est retrouvé démuni face aux problèmes du pays, car ses hommes sont arrivés sans programme et mains vides, bien qu´ils repartent avec les ventres remplis au détriment du peuple. Alors ne pouvons-nous pas nous engager politiquement plus honnête et responsable envers Haïti?

 Cette possibilité sera matérialisée lorsque nous aurons des paris politiques formateurs, desquels viennent des hommes politiquement responsables et lucides qui font preuve de réalisme dans la gestion des affaires de l´État. Pour cela, nos clans et cliques politiques doivent être re-structurés et transformés en véritables partis politiques pouvant arriver à assumer leur rôle dans le processus de l´établissement d´une démocratie vigoureuse et durable dans la société. Avec des gens regroupés en clans isolés, déroutés, égarés et perdus, c’est à dire sans repère politique, cela est impossible, car notre pauvreté politique est due à l´inexistence des partis avec des valeurs, des programmes et des lignes de travail qui affectent les actions politiques de leurs membres.

 Contrairement aux coteries politiques actuelles, les partis politiques doivent jouer leur rôle de médiateurs entre la société civile et les pouvoirs afin de permettre aux citoyens de participer aux décisions politiques permettant d´arriver à certains changements dans la société. Sont nuisibles et insuffisants les partis obsédés uniquement et exclusivement à la prise de pouvoir, reconnaissant seulement leur droit de participer aux élections et faire partie du gouvernement, mais nient totalement leurs devoirs d´accompagner et de former les opinions politiques des citoyens et des organisations populaires, desquelles viennent des personnes qui seront élus à des fonctions publiques. S´engager dans le processus de la formation politiques des citoyens nous permettra aussi de réduire la quantité des élus médiocres et incompétents dans les pouvoirs.  

 Le temps est de la culture politique, où les partis arrivent à harmoniser les revendications opposées, sans les voir comme des menaces et embarras, et les transformer en politiques générales pour le bien du pays. En plus, un opposant politique n´est pas un ennemis, mais plutôt celui qui partage d´autres valeurs politiques qui sont aussi importantes pour l´avancement du pays et le pluralisme politique. L´urgence est aux politiciens qui croient dans la politique comme outils de développement social et humain, comme moyen d´aider à la société de faire des progrès, mais non comme moyen de résoudre leurs problèmes personnels et de remplir leurs ventres. Il est temps que la politique devienne un noble engagement en Haïti afin d´aider au renforcement et à la réforme progressive de nos institutions, car ces dernières sont le résultat des processus politiques. Ainsi donc, c'est aux partis d'aider l'État à se renforcer et de l´exiger en même temps à se réformer. Ceci constitue la base nous permettant de poser des pierres de la re-construction et de commencer à trouver des pistes de solutions à nos problèmes de toutes sortes. C´est ainsi que nous pouvons aussi aider à notre Haïti de refaire son image et de retrouver son sourire et sa fierté de la première république noire du monde et la perle des Antilles.

Pour le pays, pour la société et pour un autre Haïti, changeons nos comportements politiques…

Jean Marcelson Abraham
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[1] (…a chronically poor country with a long troubled history of successive natural disasters, social unrest, bad governance and unfair trade regulations) Cf. Is the Humanitarian Failure in Haiti a System Failure? http://poldev.revues.org/1625#bodyftn4

 

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