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Les Deux ans d’un Quinquennat - Point de vue d’un journaliste de New York

roselin-jeanRoselin Jean

Les Deux ans d'un Quinquennat

Sympathisants et opposants de tous régimes politiques en Haïti, pour une fois, s'accordent. Le pouvoir vieillit vite. Qui l'eut cru. A deux ans seulement, le pouvoir Martelly – Lamothe est vieux et fier de l'être. Au point de se sentir au bout de cette période si sage qu'ils invitent des curieux (comme moi) de l'extérieur à prendre acte de leurs accomplissements. Existe-t-il un concours de popularité en Haïti que le pouvoir en place entend gagner à tout prix? Compte tenu du bilan actuel un peu maigre pour les incrédules, n'est-ce pas une entreprise quelque peu prématurée ? La liste des questions risque de s'allonger démesurément. En tout cas, ce jour-là du mardi 14 mai 2013 où le peuple était convié au Champs-de-Mars, il faisait beau.

Malgré l'absence d'une thématique précise, les tenants du pouvoir à Port-au-Prince proposaient de célébrer - dans une ambiance carnavalesque - la victoire aux urnes de Son Excellence, le Président Michel Joseph Martelly. Les organisateurs de cet événement pouvaient savourer leur réussite car il y avait du monde, beaucoup de monde au Champs-de-Mars (lieu mythique ou se déroulent les drames sociopolitiques les plus marquants du peuple haïtien). De même qu'il est difficile de séparer l'ivraie du grain, il était tout aussi difficile de savoir qui « profitait » de cet après-midi de défoulement gratuit. A combien s'élevait donc le nombre réel gagné à la cause de la présidence ? Les professionnels des services de communications du gouvernement continueront de s'arracher les cheveux.

Depuis toujours, relayer avec efficacité l'action gouvernementale à la population n'a jamais été une tâche facile. Or, il est souvent difficile de jauger l'impact du travail accompli sur les sujets ciblés, considérant le fait que l'aspect émotionnel est quasiment omni présent dans toute la sphère politique haïtienne.

En ce qui me concerne, les deux nuits et deux jours et demie passés en Haïti se décrivent en une phrase : c'était le vertige sans le parachute. La rapidité avec laquelle les jours se sont succédés et se différenciaient me laissent l'impression d'avoir été parachuté dans un conte de fées aux milles couleurs tropicales. Tout a commencé après l'atterrissage de l'avion sur la piste de l'aéroport Toussaint Louverture. Au seuil du couloir qui conduisait vers les agents des services d'immigrations au son de la musique des troubadours, je pensais qu'entre faire le figurant et être témoin, le choix est clair. Vivre, c'est témoigner, dit-on. Mon voyage en cours ne ressemblait en rien à ceux, nombreux, que j'avais effectués auparavant sur la terre natale.

Je pouvais observer qu'en première loge les membres du personnel du salon diplomatique s'affairaient pour accueillir un homme important au teint brun. Il était en pleine forme et arborait un visage sympathique. À part sa chemise blanche agrémentée d'une cravate rouge sous un costume bleu marine et son crâne dénudé, il portait des verres sur le nez.

Il s'agissait de Monsieur Charles Antoine Forbin, l'Honorable Consul Général d'Haïti à New-York qui se fait assister dans sa mission par le chef du protocole du consulat Monsieur Clephane Chery. Ce dernier avait la peau foncée, était de taille moyenne, vêtu d'un costume kaki en homme d'affaires décontracté. Ses joues arrondies comme celles d'un bébé paraissaient s'accentuer d'un sourire calme et rassurant. En fait, il semblait posséder les qualités d'un enfant de chœur.

Mon confrère Edens Desbas et moi sommes les invités-observateurs du consul Général en qui j'ai découvert, une personne affable et d'un grand humanisme, doublé d'un esprit brillant. Clairement, un respect mutuel se glissait entre nous.

Monsieur Desbas, à part le microphone que nous avons en commun, est aussi mon contemporain. Cependant, pour le bien de l'exhaustivité lui et moi offrirons peut-être deux différentes perspectives de ce voyage mémorable. Après un bref coup d'œil à la salle d'arrivée de l'aéroport récemment réaménagé, le protocole exigeant qu'on collectât nos passeports aux fins de les faire estampiller. Il s'agissait ensuite de repérer nos valises, avant de prendre l'ascenseur et de nous rendre au rez-de-chaussée. Où une fourgonnette nous conduisit au salon diplomatique détaché du bâtiment principal de l'aéroport. Après un moment que mon impatience rendait plus longue qu'en réalité. Nous étions prêts à prendre la route dans des tous-terrains aux vitres couleur corbeau à destination de notre hôtel situé dans la banlieue de Pétion-Ville. Les formalités du check-in sous la vigilance du notre Consul Général étaient courtoises et rapides. Je me sentais tout à fait confortable dans cet immeuble flambant neuf du Best Western Premier. Haïti est le 135ême pays, en ce printemps 2013, à recevoir un établissement de cette prestigieuse chaine d'hôtellerie américaine de renommée mondiale.

Premier point à l'ordre du jour, nous devions assister à l'inauguration des travaux aboutissant au réaménagement de la place Boyer qui auparavant servait de lieu de refuge aux sinistrés du terrible tremblement de terre du 12 Janvier 2010. Tomber en dégradation pendant trop longtemps. Cette place publique n'a pas démérité une transformation aussi ponctuelle. Ce qui lui redonne toute sa dignité de porter le nom de ce héros de l'indépendance haïtienne, le président Jean-Pierre Boyer (1776 -1850). Le temps d'une promenade à pieds, nous arrivions déjà sur les lieux. Je partage avec d'innombrables personnes une certaine connexion émotionnelle à cet endroit qui a procuré des souvenirs inoubliables à ma prime jeunesse.

J'y apprenais tout à coup que mon confrère Edens Desbas avait ses raisons pour ne pas séjourner à la même enseigne que le reste de la délégation. J'ai voulu en savoir plus.
Il s'est déclaré de l'opposition. Pour protéger son intégrité, me disait-il, ce recul s'avérait nécessaire. Quoiqu'à mon avis une personne intègre ne devait obligatoirement faire partie de l'opposition. Durant notre conversation spontanée, je me suis exprimé avec une sentimentalité évidente, affirmant que l'opposition serait toujours inévitable car personne ni aucun gouvernement ne saurait satisfaire tout le monde. Il m'écoutait attentivement.

Quant à l'opposition politique en Haïti, elle demeurait pareille: un camp. Un peu simpliste, n'est-ce pas ? Elle devrait être plus consciente de son rôle indispensable en tant que partenaire à la sauvegarde de la démocratie naissante en Haïti ainsi qu'au développement durable du pays. Il serait souhaitable que l'opposition ait le courage d'afficher son patriotisme palpable et non-négociable. Toutes ces prises de position devraient viser d'abord les intérêts supérieurs de la nation.

Pour être crédible dans son rôle d'arbitre, l'opposition se placerait au-dessus des brouhahas passionnels, atteindrait ce niveau élevé de civilité dans l'articulation de ces revendications légitimes qui lui permettrait, paradoxalement de s'accorder en se désaccordant avec le pouvoir – car tel est son rôle, justement.

Ma dernière phrase lancée avec la force d'un boxeur au combat, dans le but de dérouter quelque peu mon confrère attentif, je le fixais des yeux voir s'il entendait faire cause commune avec mon idéalisme. Nous avions bel et bien un pari à gagner: miser sur l'inclusion de toutes les couches sociales pour le développement socio-économique du pays. D'un côté, j'étais convaincu d'avoir parlé d'or. C'était sans compter l'expression figée du visage de mon interlocuteur qui semblait me faire comprendre que je ratais mon but.


Le courageux Edens Desbas donnait l'air de se préparer à contre-attaquer en utilisant les arguments de son arsenal d'opposant convaincu. S'il ne tournait pas en rond, je serais volontiers tout ouïe. Aurais-je cette chance ?

Son frère-ennemi Gary Baudeau se dirigeait vers nous. De grande taille, son visage lui donnait un air d'adulte précoce. Le blouson déboutonné, sans cravate ni garde-du-corps, son portable en main, le directeur de la communication de la primature voulait faire part de sa brouille avec monsieur Edens Desbas.

Ce dernier l'accusait d'avoir ordonné à un agent du service secret américain de l'avoir forcé à prendre congé lors d'une rencontre du premier Ministre avec un groupe de professionnels Haïtiens à New-York. L'incident survenu dans l'après-midi du dimanche 20 Avril 2013 à Vault Café avait fait écho sur tous les réseaux sociaux. Une publicité non désirée par monsieur Baudeau qui soigne son image et renie tout. Les deux hommes se faisaient des reproches à qui mieux-mieux.

L'arrivée du chef de gouvernement a mis fin à cette épisode car le devoir appela à l'ordre le directeur de la communication de la primature. Peu de temps après, les sons des cuivres de la fanfare du palais national indiquaient, en effet, que le président était sur les lieux. Avec lui commençaient les cérémonies de l'inauguration de la place Boyer sous les applaudissements de milliers de partisans et de badauds massés tout autour de la place.

Le premier mandataire de la nation coupa le ruban inaugural et entama son entrée sur la place, un vrai bijou au cœur de Pétion-Ville en termes de modernité, financée par le trésor public et les fonds Petro caribe du Vénézuela. Alors que la maîtresse des cérémonies annonçait le président, la place se mettait déjà en liesse. Le présidant Martelly chercha à petit pas sa route en direction du podium au milieu des dignitaires et invités.

En saluant au passage autant de personnes possibles, certaines ont eu un geste de la main et d'autres une poignée de main. À quelques centimètres de moi, il observa une petite pause, exprès.
Démontrant civilement qu'il reconnaissait mon visage, il s'est exclamé à haute voix: « voilà un mec que je n'ai pas vu depuis longtemps ! Te voilà au pays, n'est-ce pas »!
Sans me donner le temps de répondre, il enchainait: « as-tu vu Ti Albert »? Monsieur Albert Chancy, l'un de ces conseillés dans les affaires culturelles, est mon ancien patron à Radio Superstar. J'acquiesçais en serrant la main de Monsieur Chancy non loin de moi. Debout devant le podium, le président écouta avec attention les discours de circonstances en attendant son tour.

Dès sa montée sur le podium, il électrisa l'assistance. Accompagné de son premier ministre, Monsieur Laurent Salvador Lamothe, le chef de l'État dans des propos improvisés faisait l'éloge de tous ses accomplissements en deux ans sur ce ton mi- sérieux mi- blagueur qu'on lui connait bien. Ce qui échauffa la foule comme au temps de sa fulgurante carrière musicale.

Avant de prendre congé de la foule, le président de la république prédit l'arrivée au champs-de-mars le lendemain d'une marée humaine venue des quatre coins du pays pour marquer avec lui d'une pierre blanche la victoire du peuple à travers son règne vieux de deux ans. Le chef de l'état a confirmé son intention de réaliser les promesses de changement faites durant sa campagne électorale.

En raison du timing de son arrivé aux timons des affaires, le président de la république a compris tôt qu'il lui faudrait maximiser sa chance de réussir en attrapant à vive allure les 50% de chances que la force des choses veulent bien déposer à ses pieds. Dans presque tous les départements, il entreprend des inaugurations spectaculaires de réalisations, qu'il en soit le géniteur ou non.

La main mise qu'il exerce sur le carnaval national et le fait d'offrir cette grande manifestation culturelle en rotation, à d'autres zones géographiques du pays est une grande innovation qui lui sera à coup sûr bénéfique. D'ailleurs, ses démarches ont pour but d'octroyer à la présidence toute la visibilité qu'elle désire.

En comptant les autres 50% de dévouement dont fait montre l'exécutif sous le leadership du premier ministre, l'Haïtien de l'année 2013 sent bien à quel point la machine gouvernementale est huilée car elle va dans la bonne direction.

Quant au besoin de transparence dans les dépenses à l'échelle gouvernementale, le pouvoir législatif pour bien jouer sa partition se dépouillerait de toute velléité obstructionniste. Parions qu'en luttant contre tout gaspillage des recettes du trésor public, cette équipe gouvernementale pourrait gagner et garder la confiance des Haïtiens et du monde.

Cette nouvelle dynamique de dialogue visant au renforcement du partenariat, secteur public et privé pourraient entrainer la réalisation de nombreux objectifs ambitieux au profit de la population. Il y a de l'optimisme dans l'air.

Quoique les apparences soient souvent trompeuses, tout observateur averti sait, tout de même, que les actes évoquent plus que les mots. Ce que Son Excellence, Michel Joseph Martelly applique méthodiquement, et sans doute sincèrement. Tout cela lui offre bel et bien une bonne marge de manœuvre. En affichant sa volonté continue de faire bouger la barque nationale, l'actuel locataire du palais national étend un rameau d'olivier à ces opposants les plus farouches.

Incroyable mais vrai, il détient actuellement dans sa main les 100% des atouts nécessaires pour convaincre son peuple qu'ils sont sur la bonne voie. Est-ce qu'il y parviendra ? L'avenir dira le reste.

Ici, Roselin Jean

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