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Violence symbolique et occupation étrangère en Haiti

Pierre-Bourdieu-coverLe sociologue Hérold TOUSSAINT était à la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'Etat d'Haïti le vendredi 25 janvier 2013. Plus d'une centaine d'étudiants (es) et quelques membres de la presse haïtienne ont marqué leur présence. Tout a démarré à 13 h. A chaque participant a été donnée une copie de l'interview du chef de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haiti) publié dans Le Nouvelliste, samedi 27 et dimanche 28 novembre 2010. La conférence se déroulait sur le thème « violence symbolique et occupation étrangère ». En quoi le concept « violence symbolique » de Pierre Bourdieu peut-il nous aider à comprendre l'occupation étrangère sur la terre haïtienne ?

Bourdieu consacre la majeure partie de son oeuvre à l'étude de la domination et de la violence comme éléments constitutifs de l'espace social. "La sociologie dérange, en dévoilant les mécanismes invisibles par lesquels la domination se perpétue », dit-il. Avec lui, on sait que la domination ne se mesure pas uniquement en termes matériels, mais aussi en termes symboliques. Ces deux stratégies différentes servent le même objectif. Ceci dit, nous devons prendre conscience des mécanismes de la domination qui sont à l'oeuvre dans nos sociétés actuelles et qui demeurent dissimulées, notamment par la violence symbolique. Ainsi, le professeur Hérold Toussaint a martelé que l'universitaire citoyen devrait être un veilleur. Sa mission serait d'interpeller la société dans laquelle il vit. L'intellectuel libérateur a une responsabilité vis-à-vis de l'humanité. Le sociologue français Bourdieu a accusé une grande tendresse pour les dominés et les exclus. L'adversaire résolu du colonialisme français en Algérie et de l'oppression militaire. C'est un fils de paysan qui a appris à découvrir la contrainte sociale, la violence symbolique, le pouvoir brutal qui est à l'oeuvre derrière l'entreprise coloniale. Deux ans avant sa mort, soit en 2000, il a adressé trois lettres à son ancien étudiant Hérold Toussaint (devenu professeur invité à l'Université Laval) pour l'encourager à partager avec ses concitoyens les fruits de ses recherches.

Le professeur Toussaint précise le sens du concept ''Violence symbolique'' : « C'est une forme de violence qui s'exerce sur un agent social avec sa complicité. C'est donc une violence voilée qui s'actualise essentiellement dans le langage. Elle conduit les dominés à l'autodénigrement, à l'autocensure et à l'autoexclusion ». Par ailleurs, qu'a dit Edmond MULET dans l'interview ? Quelle est la portée historique de sa déclaration ? Pourquoi n'a-t-elle pas été débattue dans les partis politiques, les medias et les établissements d'enseignement du pays?

Selon Edmond MULET, « quand la MINUSTAH a été déployée en 2004, le pays était en pleine guerre civile... La présence de la MINUSTAH a pu stabiliser la situation... Nous avons un mandat politique et électoral... Nous continuerons aussi à aider dans des domaines comme l'Etat de droit, la Justice... ». (Les élections : un rendez-vous des Haïtiens avec leur avenir, dit Edmond MULET in Le Nouvelliste, Samedi 27 et dimanche 28 novembre 2010). Rappelons tout de suite que l'article premier de la Charte des Nations Unies stipule qu'un des objectifs de l'Organisation des Nations Unies est de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droit des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, les peuples déterminent, en toute liberté et sans ingérence extérieure, leur statut politique et poursuivent leur développement économique, social et culturel ». De ce fait, n'y a-t-il pas au niveau des Nations-Unies un double langage et une forte hypocrisie ? Comment peut-on comprendre le mandat politique de la MINUSTAH ? Pourquoi cette ingérence ? Qui en sont les complices ?

La violence symbolique est très présente dans la réalité politique haïtienne. Elle sert à légitimer toute décision provenant des plus forts. Nous n'avons jamais été en situation de guerre civile en 2004. Pourquoi le pays est toujours l'objet d'attention négative de la part du système international ? En 1929, Dantès Bellegarde a souligné le massacre des milliers paysans haïtiens sous l'occupation militaire des états-uniens. Ces derniers disaient vouloir bien nous apporter la leçon d'humanité. Pour l'histoire, sachez que l'intervention des Etats-Unis en Haïti n'a été inspirée que par des intérêts financiers particuliers. Tout le reste était prétexte...N'est-ce pas le même cas avec la présence de la MINUSTAH ? Comment peut-on expliquer les agissements de ce fonctionnaire onusien tout au long du processus électoral au cours des années 2010-2011? Nous sommes un peuple qui a connu l'expérience de l'esclavage. Nos ancêtres ont dû lutter pour devenir indépendants. Aujourd'hui, nous assistons impuissants à l'occupation militaire étrangère du pays. C'est l'incorporation de la violence symbolique.

La domination ne pourrait se perpétrer si elle n'était pas intériorisée par chacun et si les dominés ne se pensaient pas eux-mêmes dans les catégories produites par la domination. Nous intériorisons le discours de l'occupant. Nous doutons de notre dignité, de notre capacité à inventer et nous croyons que notre salut vient de l'extérieur. On se sent à l'aise avec l'Occupation, il n'y a pas d'autocritique, fait remarquer le conférencier. Maintenant, comment créer aujourd'hui des îlots de résistance citoyenne contre la domination ? Comment récupérer notre mémoire historique? Comment arriver à un éveil de conscience et de responsabilité nationale ? Comment reconstituer notre dignité bafouée ? Comment arriver à un formidable désir de vivre ensemble ? Comment travailler la conscience par la foi active en la liberté ? Voilà autant de questions fondamentales qui méritent des éléments de réponse. Pour le conférencier, en face de la domination doit se dresser l'efficacité critique de la connaissance. La révolte de la conscience collective, l'esprit critique et le sens de l'imagination peuvent nous aider à nous passer de la violence symbolique. Unis et organisés, nous changerons les rapports de domination. Nous avons besoin d'une société inventive, vitale et résistante. Ce sont des éléments fondamentaux dans la construction nationale. Ce ne sera pas facile avec les déterminismes sociaux, admet le docteur en sociologie Hérold Toussaint. Toutefois, même au coeur de ces déterminismes, on peut faire des brèches.

La conférence a pris fin à 15 h et, du coup, le prof a procédé à la vente signature de son dernier ouvrage « Violence symbolique et habitus social. Lire la sociologie critique de Pierre Bourdieu en Haïti ». Le texte est déjà disponible en librairie.

Ricarson DORCE
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Source: Le Nouvelliste