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Coller des procès à l'Etat...
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- Catégorie : Opinions
- Publié le mercredi 20 février 2013 12:08
Ici, le système de santé est bancal. C'est une vérité de la Palice. Mais, chaque fois que l'on conte la mésaventure de l'un d'entre nous, le sujet rebondit même si l'effervescence ne dure que le temps d'un cachet de Salt Andrew's versé dans un verre d'eau plate. On s'accommode au statu quo et on s'en remet à la Providence. On prie surtout pour que le drame frappe l'autre, pour que la croix aille chez le voisin. Pour que ce soit son fils de deux ans qui meure d'une crise d'asthme faute de prise en charge ; que ce soit sa mère qui casse sa pipe parce qu'il n'y avait aucune pharmacie de service la nuit dernière pour acheter de l'insuline.
Individuellement, dans cette « république d'insensés », chacun essaie de réduire les risques. Comme la majorité d'entre nous, « les chefs » voguent sur le rafiot de l'incertitude, de l'incurie. Le président Michel Martelly lui-même n'est-il pas passé à deux doigts de la mort suite à une embolie pulmonaire soignée à Miami ? Oui. Et après ? Rien de concret. Il n'y a toujours pas de bons hôpitaux dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Le CDTI, un vieux rêve, l'hôpital du Canapé-Vert et les autres établissements privés sont des « hôtels de luxe », selon certains. Et les soins d'urgence en général, une chimère ou presque si l'on compte l'assistance utile mais, au final, « déstructurante » d'ONG opérant dans le domaine sanitaire.
Est-ce qu'il y a un moyen de changer les choses ? Oui ! Naomi Vernous Jérôme, dans sa « lettre ouverte au président Martelly », trace une voie. Elle envisage la possibilité d'intenter une action en justice pour non-assistance à personne en danger. Cette personne, c'était sa mère Féliane Desvarieux Vernous, victime d'un Accident vasculaire cérébral (AVC) au moment d'enregistrer ses bagages afin de quitter Haïti le 3 janvier dernier à destination d'Atlanta, aux Etats-Unis. « Pas de premiers soins dans les premiers instants, pas de sapeurs-pompiers. L'unique clinique de l'aéroport, si elle a le mérite d'exister, est fermée pour rénovation », a raconté Naomi Vernous Jérôme. « Une ambulance a mis deux heures avant d'arriver. Quand finalement elle a été là , elle a conduit ma mère mourante à l'hôpital de l'OFATMA où ma soeur s'est entendue répondre : « Ici, on ne s'occupe pas de ce genre de cas », a-t-elle expliqué, ajoutant que sa maman a rendu l'âme deux jours après.
Quelle est, se demande-t-on la responsabilité de l'AAN ? A quoi servent les frais versés par les voyageurs ? Quelle est la responsabilité des sapeurs-pompiers de l'aéroport ? Est-ce qu'ils sont formés et ont-ils les moyens pour effectuer cette prise en charge ? Quelle est la responsabilité de l'OFATMA ? Celle du service ambulancier national ? Si Naomi Jérôme Vernous va jusqu'au bout, c'est un tribunal qui se prononcera. Peut-être que les poules auront des dents avant le verdict dans ce pays où des juges sont tout sauf libres de faire appliquer la loi.
Entre-temps, poursuivre l'Etat haïtien et ses services pour négligence, non-assistance à personne en danger est, on l'aura compris, une gageure. Cependant, des actions en justice du genre doivent se multiplier. Elles pourront avoir des effets positifs. Quand des fonctionnaires seront blâmés, des employés révoqués pour négligence, le service public deviendra peut-être un service public, même avec des ressources financières limitées. Il n'est pas nécessaire d'avoir des millions pour servir les gens, pour les traiter avec dignité et respect. Quand on colle des procès à l'Etat, ses dirigeants auront à coeur d'effectuer les réformes indispensables. On ne traînera plus en longueur avant de construire avec des fonds publics finalement l'HUEH.
Aux Etats-Unis et ailleurs, les poursuites judiciaires en dommages et intérêts contre des services publics et des fournisseurs privés ont permis de réaliser d'importants progrès. Les services se sont améliorés, les professionnels se sont perfectionnés. Les compagnies d'assurance n'ont pas été laissées en rase campagne dans ces pays où les avocats, au nom de leurs clients, arpentent au quotidien les tribunaux avec des piles de dossiers. Est-ce que des cabinets d'avocats se mettront au service du citoyen, de la citoyenne dont les droits ont été lésés ? C'est souhaitable. Et s'il faut en contrepartie que les citoyens et citoyennes versent plus de taxes à l'Etat pour avoir plus de services, tout le monde comprendra. Mais, en attendant, les autorités gagneraient à mieux utiliser celles déjà versées à la DGI, l'entité qui représente l'Etat au tribunal. Elles gagneraient aussi à ne plus s'éparpiller, à s'époumoner en vantant une « Haiti open for business » où le président, en cas d'urgence médicale, n'a d'autre choix que de partir pour l'étranger...
Roberson Alphonse
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